La percée politique des islamistes incite les banques à proposer des produits conformes à la charia. Mais ce marché prometteur est encore sous-développé.
Tandis que les gros titres des journaux égyptiens soulignent l’emprise de plus en plus marquée des islamistes sur la politique nationale, leurs pages économiques sont régulièrement consacrées à toutes sortes de produits d’investissement conformes à la charia. Celle-ci interdit le versement d’intérêts et la spéculation.
Les médias rendent ainsi compte de la transformation sociale qui s’opère actuellement. Ikram El-Sayed, une femme au foyer de 62 ans, est soulagée d’avoir transféré toutes ses économies dans des banques islamiques après avoir investi à contrecœur pendant quinze ans dans des certificats de placement portant intérêt. Elle met ses récents échecs personnels sur le compte de ces investissements, qu’elle considère comme interdits par l’islam. “Les intérêts que je percevais tous les six mois étaient maudits, explique-t-elle. La majeure partie a servi à payer les traitements contre le cancer de mon défunt mari et à aider mon fils à créer une entreprise qui a fini par faire faillite.”
Des islamistes courtisés
“Dans cette Egypte post-Moubarak, l’urgence de reconstruire et de changer les choses se heurtera au manque de ressources et d’argent”, a récemment déclaré à l’agence de presse Reuters Ibrahim Warde, professeur associé à la Fletcher School of Diplomacy de l’université [américaine] Tufts. “L’Egypte va se tourner vers les pays du Golfe pour obtenir de l’argent et elle devra offrir des options islamiques pour maximiser les investissements.” Selon Thomson Reuters, les actifs financiers islamiques en Egypte pourraient représenter 10 milliards de dollars [7,6 milliards d’euros] en 2013, contre 6 milliards en 2007.
La partie n’est cependant pas gagnée. Selon Hani Tawfiq, un professionnel du secteur, le marché courtise les islamistes actuellement au pouvoir en essayant d’offrir des produits susceptibles de les apaiser. Mais cet intérêt risque de s’atténuer lorsque l’évaluation des profits et des pertes démontrera que le marché ne dispose toujours pas des infrastructures adéquates. “Même si, dans une société sensible à la religion comme l’Egypte, il existe une demande pour tout ce qui porte l’étiquette islamique, le marché n’offre toujours pas de produits répondant à la demande”, explique-t-il.
Les sukuk en sont un bon exemple, selon M. Tawfiq. Ce type de produit, qui se développe dans le monde entier, repose sur le partage des profits et des pertes. Or la plupart des particuliers disposent d’une épargne limitée et souhaitent obtenir un revenu régulier ; les sukuk pourraient donc se révéler trop risquées, à moins qu’elles ne soient utilisées pour financer des projets qui généreront à coup sûr des revenus, comme les opérations d’exploration et de forage pétrolier dans des gisements dont les vastes réserves sont prouvées. “De tels projets sont rares sur le marché égyptien”, relève M. Tawfiq.
Selon lui, il est également très difficile d’investir dans des actions halal via des fonds islamiques. Ces derniers doivent en effet exclure toutes les entreprises des secteurs réprouvés par l’islam, comme le tabac, l’alcool et le jeu. En outre, certains fonds islamiques investissent seulement dans les entreprises dont moins de 30 % de l’actif est financé par une dette portant intérêt. “Les entreprises qui remplissent ces conditions ne sont pas si nombreuses”, conclut M. Tawfiq.
Les Egyptiens se sont longtemps méfiés de la finance islamique. Et pour cause : au milieu des années 1980, les fonds d’investissement islamiques Al-Rayan et Al-Saad ont dépouillé des milliers de clients via une pyramide de Ponzi [un montage financier frauduleux]. Cela explique en partie pourquoi la finance islamique s’est développée si lentement dans ce pays, qui fut pourtant pionnier dans ce domaine. D’après May El-Haggar, directrice adjointe de la recherche et analyste bancaire chez Al-Naeem Brokerage, la demande pour les produits islamiques reste limitée.“Pour une entreprise, ce qui est réellement important, c’est de réussir à obtenir les meilleures conditions de crédit, qu’elles soient conformes à la charia ou non.”
Restent les particuliers, dont l’objectif est généralement de souscrire un emprunt sans intérêts pour l’achat d’une voiture ou d’une maison, ou bien d’obtenir une carte de crédit garantie halal. Ils risquent d’être déçus par l’offre très limitée de produits destinés au grand public. En fait, les services bancaires de détail sont encore sous-développés dans les banques égyptiennes, qu’elles soient islamiques ou non.
source:http://www.courrierinternational.com