La finance participative a un long chemin à parcourir avant d’être pleinement opérationnelle au Maroc. Hormis le cadre législatif en cours de finalisation, d’autres défis sont encore à relever. Fiscalité, conformité, qualité de service, pricing mais surtout vision claire avec un plan national… autant d’aspects récurrents dans les échanges lors des deux journées du Forum international de la finance participative.
La vision tout d’abord
Pour Moncef Bentaibi, expert comptable et consultant international en finance islamique, le principal défi auquel devrait faire face la finance participative est celui de l’adoption d’une vision claire par le gouvernement, la Banque centrale et le comité Sharia relevant du Conseil supérieur des Oulémas. Notons que l’expert avait été chargé par le PJD de réviser le projet de loi relatif aux établissements de crédit et organismes assimilés. La même question est soulevée par Mohamed Boulif, président d’Al Maalya Consulting (Belgique), qui estime qu’il faudrait un plan national sur les 5 ou 6 ans à venir. En effet, il faudrait préciser ce que l’on veut faire de la finance islamique au Maroc: se limiter à une diversification des produits sur le royaume ou devenir un hub régional et une référence régionale de la finance islamique. C’est en ces termes que Mohd Daud Bakar, président du groupe Amanie Holdings en Malaisie (pays devenu une référence mondiale en la matière) a formulé la problématique à laquelle devraient répondre les autorités marocaines.
Une conformité religieuse irréprochable
Le Maroc, qui est régi par le rite malékite, dispose ainsi d’une flexibilité sans égale en matière de Fiqh Al Mouamalate (la jurisprudence des relations commerciales) dans la mesure où il permet d’adopter des préceptes des autres rites islamiques, souligne Mohamed Karrat, partner à Al Maali Consultig Group. Toutefois, cette flexibilité ne le prémunit pas d’autres enjeux. En effet, l’un des défis les plus importants à relever est celui auxquels devraient faire face les Oulémas. Selon Mohammed Burhan Arbouna, Head of Sharia Compliance à Al Salam Bank (Bahreïn), lesdits Oulémas devront s’adapter de manière continuelle aux changements et évolutions des produits financiers et de la réalité économique, tout en étant très prudents car la moindre erreur ou information erronée pourrait faire tomber le système dans son ensemble. Ils se doivent aussi de trouver le bon moyen pour concilier entre le religieux (Al Fiqh) et la réalité du terrain.
Par ailleurs, «le choix d’avoir un comité Sharia externe à l’établissement bancaire pourrait constituer une limite», relate Burhan Arbouna, avant d’ajouter qu’au Baheïn, qui a choisi d’avoir, en plus du Conseil des jurisconsultes externe, des Sharia Boards au sein de chacune des banques, il est possible pour ses derniers de statuer sur des contrats urgents en assumant la responsabilité religieuse afin de gagner du temps, en attendant la décision du conseil des jurisconsultes. Ce cas de figure n’est pas possible avec la configuration choisie par le royaume et pourrait faire perdre aux banques des opportunités face au risque des délais de prise de décision par le comité Sharia du Conseil supérieur des Oulèmas. Pour sa part, Bentaibi estime qu’il est primordial que les banques participatives respectent la philosophie musulmane dans la relation de financeur qui les lie à leur clientèle, mais aussi de la part des entreprises demanderesse de financement islamique. Celles-ci devraient à leur tour respecter les préceptes de la Sharia pour pouvoir en bénéficier.
Un régime fiscal à revoir
Mohamad Hammour, président de Guidance Financial Group aux États-Unis, rejoint l’opinion de Burhan Arbouna, en précisant que le premier défi du royaume est la conformité avec la Sharia. «Les banques devraient distinguer la vision de la Sharia et sa mise en place sur le terrain», souligne Hammour. Le second défi, selon l’expert américain, est le système fiscal. Son constat est que les changements et modifications apportés par le fisc marocain n’ont concerné que la Mourabaha, négligeant ainsi les autres types de contrats de financement que propose la finance islamique. De même, l’outil fiscal est tellement diversifié et vaste au Maroc alors que les Émirats arabes unis ne disposent que de 5% des outils fiscaux que compte le royaume.
Enfin, le dernier défi que devrait relever les banques participatives au Maroc est celui d’asseoir leur crédibilité auprès du public. Une crédibilité qui ne peut être atteinte que si les banques participatives ont pleinement leur indépendance et qu’elles ne deviennent pas un simple «outil» de leurs banques mères qui sont des banques conventionnelles. Mais le seul gage pour gagner de la clientèle demeure la qualité des produits proposés et leur accessibilité (en matière de tarification), souligne Burhan Abroun, qui précise aussi que «ce n’est pas parce que vous êtes une banque islamique que tous les musulmans vont migrer chez vous». Un propos appuyé par le président du groupe Amanie Holdings en Malaisie, qui relate que, dans son pays constitué à hauteur de 60% par des musulmans et 40% par des non musulmans, «les clients choisissent, pour se financer, de recourir à la banque islamique car plus avantageuse, mais pour leurs placements optent pour la banque conventionnelle pour ses taux d’intérêts».
source : http://www.leseco.ma/finances/38140-finance-participative-une-feuille-de-route-s-impose.html